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Au Port de la Lune

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7 octobre 2014

GLOBAL DINGDONG

En compagnie d'un ami cinéphile je vois deux films à la suite :  le premier, "Refroidis" (le titre original, "In order of disappearance" est bien meilleur)  se déroule en Norvège au beau milieu de l'hiver, à peine si on distingue les personnages au milieu de la neige qui tombe, tombe; le second,  "Still the water", est un film japonais contemplatif. D'un côté la Norvège, de l'autre le Japon. Une distance de plus de 8 000 kilomètres. 17 heures de décalage. D'un côté des blonds baraqués emmitouflés dans des doudounes, de l'autre de fins Asiatiques aux cheveux d'encre en chemisettes blanches. Des cultures, des situations, des manières de vivre... totalement différentes. Et pourtant, lorsque le téléphone sonne pour Nils, la sonnerie est exactement la même que lorsque le portable de Atsushi se manifeste. La même également que celle que j'ai choisie pour distinguer les appels de ma fille. J'en éprouve une certaine tristesse.

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5 octobre 2014

QUELLES SONT LES NOUVELLES ?

Je prends le train dans quelques minutes, hop un quotidien, un magazine... Ce n'est qu'une fois installée que je déplie Libération du jour (édition week-end). Je dois me frotter les yeux. La première double page est une publicité. On accède ensuite au journal. Une publicité pour la Poste, et en parfait faux-cul, la rédaction se justifie en quelques lignes "service public, blabla". De la pub comme première page, on a touché le fond. Ce n'est pas la première fois, m'apprend l'ami que je retrouve à Paris. Je savais la presse quotidienne malade, Libé devenu l'ombre de lui-même. Mais à ce point !

29 septembre 2014

CINEMA PAS MORT

Les mecs se ressemblent tous : massifs, le cheveu coupé ras hésitant entre le blond et le roux, la peau envahie de taches de rousseur, l'air un peu bourrin. Tous sauf le plus jeune, un brun au teint mat. D'ailleurs on l'appelle "le bâtard". Ou Jack, en hommage à l'Eventreur, dont il a imité les oeuvres avec des animaux. Il était petit, proteste-t-il. Lorsqu'ils parlent, ils accumulent les  "mes morts", "mon pral" (ça veut dire mon frère semble-t-il), "ma bite". Ils font des "runs" (courses de bagnoles). Les voilà partis en virée pour la nuit avec l'aîné des frangins, qui sort de 15 ans de taule. Il a pas changé, il le répète. Mais autour de lui, rien n'est plus pareil, alors il se perd. Il sait deux trois trucs, par exemple qu'on ne laisse pas tomber un frangin, même s'il sort d'un autre ventre. Cette nuit là, il veut aller à fond la caisse et on le suit. Les yeux écarquillés, les mains crispés sur le siège. C'est violent, frontal et primitif. Une tragédie antique à Beauvais. C'est un sacré film, dans lequel il y a tout. Magnifique, sur le fond comme sur la forme. Finalement, le cinéma n'est pas mort. Merci Jean-Charles Hue.

"Mange tes morts tu ne diras point" JCh Hue

28 septembre 2014

ENEMIS

J'avais été estomaquée par son adaptation au cinéma de la pièce  "Incendies" de Wajdi Mouawad, j'avais adoré son "Prisoners" et les questions dérangeantes qu'il pose à chacun de nous... il me fallait voir  le dernier opus de Denis Villeneuve, "Enemy" (cette préférence pour les titres en un seul mot, sacré sens de la synthèse).

Comme souvent, je m'étais emmêlé les pinceaux en consultant les programmes, j'avais même cru que le film ne passait nulle part à Bordeaux ou dans la CUB. Pas à l'Utopia , effectivement -pourquoi, pourquoi, déjà pas  Prisoners, pourquoi pourquoi ?- mais pour le reste, je m'étais trompée. On le trouvait au Mégarama (en VF, non merci), à l'UGC Ciné Cité (ok, mais les horaires ne me convenaient pas), et au Jean Eustache à Pessac. 4 euros la séance à midi quinze, une fois par semaine, me voilà partie. Les deux films précédents accumulaient fausses pistes, indices douteux et vérités incroyables au long de quêtes au potentiel philosophique et émotionnel fort (très fort), nous retournaient comme des crêpes et au tout dernier moment ajoutaient au puzzle ainsi constitué LA pièce manquante... Hop, tout prenait sens, le tableau apparaissait dans son entier, si différent de ce qu'avaient laissé supposer les versions tronquées. Aussi, quand le film a débuté par une scène qui m'a mise extrêmement mal à l'aise, j'ai pensé que je saurais, une heure et trente minutes plus tard, si elle était réalité ou fantasme, et le rôle qu'elle jouait pour le personnage principal qu'on y voyait, attentif et tendu. Quand ce professeur de fac un peu lourdaud a découvert dans un film loué un acteur lui ressemblant énormément, j'ai cru que je comprendrais plus tard pourquoi cela l'affolait tellement. J'ai adhéré à l'ambiance terreuse et flippante (si Toronto ressemble vraiment à cela, aya); je me suis délectée du jeu de Jake Cyllenhaal, qui parvient avec subtilité à indiquer des personnalités très différentes dans un même corps; j'ai adoré ne plus savoir où j'en étais ni qui était qui; j'ai, confiante, pensé que la clef qui donnait accès au lieu secret d'inavouables pratiques sexuelles de la première scène serait la clef de l'histoire. Quand le personnage s'est tourné vers sa femme occupée dans la cuisine de leur appartement, et qu'en lieu et place de la ravissante blonde il a vu une immense et immonde araignée, j'ai pensé : bordel, il va pas nous laisser là ? Et puis si bien sûr, c'était une impasse, il nous a laissés là. 

J'ai lu le soir même une interview de Denis Villeneuve dans laquelle il raconte "ce qui se passe en fait" dans ce film, et cela m'a laissée froide. Son histoire n'est pas la mienne. Il ne m'a pas laissé de quoi construire ce récit-là dans ma tête. J'en ai construit un autre, bancal et plein de contradictions. Tant pis, je le garde. Dans ma version aussi, il y a un enemi.

21 septembre 2014

GENERATION VIRTUEL

"Journées du Patrimoine", dimanche,  je participe à une balade dans mon quartier, toujours friande d'en découvrir de nouveaux aspects ou d'apprendre l'un des mille détails que j'ignore sur son histoire, son architecture, les projets qui le transforment, etc.

Ambiance joyeuse, sympathique et chaleureuse. Nous sommes nombreux, principalement des familles au sein desquelles des enfants de tous âges se poussent du coude, échangent leurs réponses aux questions des petits jeux qui leur sont proposés, courattent, rigolent, se plaignent, font connaissance, réclament les bras... 

Tout ce petit monde progresse cahin cahant dans le parcours intéressant qui a été concocté par les organisateurs,  ponctué d'explications et commentaires, et de devinettes.

Nous voilà dans un grand jardin, les parents sortent les goûters des enfants, les bouteilles d'eau circulent -c'est qu'il fait très chaud-, les conversations vont bon train. 

Une nouvelle activité est proposé aux petits : fabriquer des bateaux à partir de grandes feuilles de papier coloré, bateaux qui seront mis à l'eau dans le petit bassin voisin. Tout de suite j'imagine une scène très colorée, et je dégaine mon appareil photo.

Oh, le bateau en papier a dû sauter une génération : les enfants ne savent pas le fabriquer, et leurs parents (la plupart entre trente et quarante ans) perplexes consultent sans le comprendre le feuillet explicatif. Nous sommes quelques uns à leur porter secours. Voilà, on plie ici, puis on retourne, et...

Hop, les embarcations sont prêtes, toute une flotte bleue, verte, jaune, rouge... A l'eau !!!

Mais les enfants tournent et virent autour du bassin sans trouver comment s'y prendre.  La jolie margelle aux formes douces, sur laquelle des générations se sont allongées à plat ventre pour manoeuvrer les bateaux, ne leur parle pas. Certains jettent la forme de papier qui tombe sur le flan ou coule, chapeau en avant. D'autres avancent dans l'eau la pointe d'un pied chaussé, hésitants. Un ou deux s'assient au bord de l'eau sans se pencher et tendent le petit objet coloré à bout de bras.

Tous sont résolument maladroits et raides, comme si des corps leur avaient été prêtés pour l'après-midi, dont ils n'ont pas l'habitude de se servir.

 

 

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20 septembre 2014

EN ROUTE POUR LE LIEN SOCIAL

C'est le week-end consacré au Patrimoine, et j'ai choisi une visite d'un quartier de Bordeaux que je connais peu. Au coin de la rue où nous avions rendez-vous, le guide arrive. 35 ans, très mode, tout en blanc, casquette à la mode sur la tête (mon père portait la même, à l’époque ça faisait juste plouc), beige la casquette. Je sais pas, mais tout de suite, il me plait pas. Il nous explique en gros notre futur parcours, précise qu’il habite le quartier et fait partie de l’association XXX. Et nous démarrons à fond la caisse (je peine à suivre) vers la rue WWW, rue dont j’ai entendu parler des tas de fois, par ex à Agora. J’ai retenu qu’elle se transforme en rue-jardin, ce qui à priori parait une bonne idée -près de chez moi la rue jardin est super jolie.

Dans ce quartier plutôt pauvre, nous arrivons dans un coin carrément misérable. La rue en question est là. Elle est très longue, sans grand intérêt, et sur environ 50 mètres coincée par des barrières de chantier, qui interdisent la très étroite chaussée aussi bien aux voitures qu'aux piétons. Le large trottoir en partie rendu à la terre est planté de trucs verts indistincts plutôt moches, et parsemé de sièges très laids. Le tout est dans un état lamentable : les plantes n'ont aucune allure, rien n'a été désherbé ni quoi que ce soit depuis des mois, les feuillages sont jonchés de papiers et des canettes de bière traînent de ci de là. Sur un des sièges très laids, on voit carrément un pack de 12 éventré. Le guide, enthousiaste, se plante sur la chaussée, et avec le sourire de la victoire explique que ceci (les 50 mètres) est une expérimentation destinée à recréer du lien social (…), que tout cela s’est fait dans la concertation, et que, voyez (il désigne un genre de panneau sur le tronc d’un arbuste) des animateurs viennent à des dates communiquées ici  apprendre aux habitants à faire des semis, planter, etc… Formidable, non ? Bon, il a fallu refaire la chaussée (d’où les barrières et l’aspect chantier) : son dessin sinueux devait inciter les automobilistes à ralentir, mais en fait ils vont toujours à fond la caisse et ça a fait sauter les pavés.

A ce moment précis, un homme harassé, mal rasé, mal fringué, croûlant sous le poids de deux sacs en plastique bourrés à craquer de courses, arrive devant sa porte, et interpelle la casquette : "Ouiais ben je vais vous dire moi, les expérimentations, c’est très bien quand c’est chez les autres. Votre machin, c’est vraiment nul, vous voulez savoir à quoi ça sert ? C’est pas les habitants de la rue qu’en profitent, de ce soi-disant jardin, c’est des gens de je ne sais où qui viennent le soir picoler, déguelasser partout, foutre le bordel pendant des heures avec leur radio. Y'a plus moyen d'dormir. L’autre soir je pouvais même pas rentrer chez moi, y’en avait partout. Et avec toutes vos histoires, on peut plus se garer dans ce quartier. » 

Derrière la barrière de chantier une famille entière, occupée à se frayer péniblement un chemin entre la barrière et les maisons, s'est immobilisée et semble bien décidée à compléter notre information. La casquette coupe court et se sort de la situation comme il peut (mal). A peine l'homme rentré chez lui il commente d'un ton docte : « Ah la la, il y a des personnes qui n’ont aucune envie de développer le lien social... Quel dommage ! Mais vous allez voir, je vous emmène chez M.TTT, qui lui ne pense pas du tout de la même manière ! ».
Dix minutes plus tard (nous allons toujours au pas de course), nous sonnons à la porte d’une demeure imposante quelques rues plus loin (bizarrement, le quartier n’est plus aussi misérable). Le guide ne se tient plus de joie, on a l’impression que d’une minute à l’autre il va lever la patte sur le mur. Sur le mur, une plaque indique la profession du mec parfait qui vient nous ouvrir : impeccablement coiffé et rasé, élégant, mince, bien habillé, chaussures de prix, sourire de bienvenue modeste. Le but est de nous montrer son jardin (c’est le thème de la promenade, les jardins). Nous traversons une enfilade de pièces magnifiques meublées avec goût, débouchons sur une ravissante terrasse en teck devant laquelle s’étend la piscine idéale. Et derrière, un immense, immense jardin. "Je l’ai divisé en plusieurs ambiances, nous explique le maître de maison d'une voix aimable : d’abord le jardin d’agrément, puis le potager -une récolte exceptionnelle de fraises, cette année !-, là les plantes exotiques, ensuite le poulailler (autrefois, tout le monde avait son poulailler n’est-ce pas ?). Au-delà, oh ne regardez pas, je n’ai pas encore eu le temps de m’en occuper j’en ai peur…" Il avise une table de jardin au fond dudit jardin immense : "Là, ce sont mes enfants qui viennent avec leurs amis, boire un café, fumer une cigarette, partager un moment de convivialité (dixit)… A côté, le jardin des jeunes voisins, un couple tout à fait charmant, nous échangeons des services, c’est très sympathique." 
Quand nous sortons, la casquette jubile «Un tout autre discours que tout à l’heure, non ? ».

« Une toute autre situation également... » ne puis-je m'empêcher de faire remarquer. Il lui faut réfléchir pour consentir  dans une moue  « Oui, c’est vrai ». 
Salauds de pauvres !

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